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2016/02/09

Fang Lizhi, Abattre la grande muraillle

Un billet de Kaouthar Koulmi

Lizhi, Fang. Abattre la grande muraillle; sciences, culture et démocratie en Chine, Paris, Albin Michel, 1993, 322 p.

Titre : La démocratie chinoise vue de l’observatoire de Pékin.

Fang ,Lizhi (1936-2012) est un scientifique, universitaire et dissident chinois. En parallèle avec ses travaux, notamment en astrophysique, il est très impliqué socialement et recevra d’ailleurs le prix Robert F Kennedy des droits de l’homme en 1989. Sa profession de physicien se ressent dans ses textes, puisque plusieurs exemples qu’il énonce y font échos. Il fait  souvent référence à de grandes figures de ce domaine pour illustrer ses propos, pensons aux nombreux clins d’œil à Galilée dans son œuvre, comme dans son essai de Newton à Einstein ou encore dans son texte Note sur « l’interface entre sciences et religion ».  Pour lui, il en est question dans son discours "Considérations sur la réforme," c’est grâce à la physique, par le biais de la création de la CERN que les Européens ont appris à collaborer et à enterrer la hache de guerre. Le destin de la science et de la société sont donc liés et l’ouverture à l’étranger est une avancée positive, en ce sens. Cet esprit est d’ailleurs bien présent dans le texte La démocratie chinoise vue de l’observatoire de Pékin, sur lequel nous nous penchons à présent plus en détails.

Mais attardons-nous d’abord à la vie de Fang Lizhi. D’abord membre du parti communiste chinois, il en est expulsé en 1959 suite aux propos « droitistes » qu’il a tenu lors de la campagne des Cents fleurs de Mao. À nouveau réhabilité à la mort de ce dernier, son appui pour les étudiants en quête de démocratie lui vaudra une nouvelle exclusion du PPC en 1986. Après un nouvel appui aux étudiants dans le cadre des manifestations de la place Tiananmen, dont il influencera les principaux leaders, il est contraint à l’exil aux États-Unis en 1990 où il décéda en 2012.

L’essai, dont il est question ici, est écrit dans le cadre de ces manifestations étudiantes de Tiananmen en avril 1989.  Notons qu’à l’époque, étant déchu de son poste de vice-président de l’Université des Sciences et Technologies,  il est chercheur à l’observatoire de Pékin. Il en dresse l’histoire des trois dernières décennies, en la mettant en analogie avec la pénétration des sciences occidentales en Chine, avec le cas du calcul du calendrier lunaire. La période qu’il couvre commence donc à partir de l’arrivée des jésuites à l’époque des Ming, plus précisément Mattéo Ricci, jusqu’à  l’acceptation finale des sciences naturelles en 1911. Il explique qu'en 1582, le calcul occidental fut rejeté au profit des anciennes procédures confucéennes plus « chinoises ». Puis, en 1610 et 1619, ces vieilles techniques faillirent à donner un calcul précis à l’instar des calculs exacts des Catholiques. Ainsi, l’empereur Changzhi tenta d’adopter les démarches occidentales. Seulement, les oppositions furent si vives que cela n’entra en vigueur que sous le règne de Shunzhi avec l’avènement des Qing. À sa mort, les conservateurs rejetèrent à nouveau l’apport étranger et revinrent aux anciennes méthodes plus « chinoises ». Malgré tout,  le nouvel empereur Kangxi, attiré par les sciences, utilisa le calendrier occidental. Son décès, en 1723, laissa place à un long siècle dominé par l’idéologie anti-sciences. Il fallut attendre les guerres d’opium, soit le milieu du XIXe siècle pour voir un retour et un triomphe du calendrier occidental. Même à la chute de la dynastie, ce dernier, efficace, ne fut plus remis en question et adopté. La Chine avait alors compris qu’il n’existe pas de caractéristiques scientifiques « chinoises ». Dans cette œuvre, à travers l’historique de la place, l’auteur veut démontrer que, contrairement aux idées reçues, la démocratie est possible en Chine, puisqu’il n’existe pas un caractère particulier de cette civilisation qui pourrait l’empêcher d’obéir aux lois universelles de la démocratie au même titre qu’elle ne peut déroger aux lois de la physique. De plus, il explique qu’il est normal que le processus de démocratisation chinoise soit long, les sciences occidentales en Chine ayant elles-mêmes pris des siècles pour être reconnues et acceptées par tous, puisque les traditionnalistes se sont toujours montrés en désaccord avec ces dernières. En traitant ainsi de l’histoire des sciences, Fang veut illustrer un parallèle avec la démocratie qui tente, comme la science de s’implanter petit à petit et qui, comme les lois de la science, est universelle.

À mon sens, il donne, à sa façon, une lueur d’espoir à ses compatriotes, parce qu’il prouve, à l’aide de plusieurs exemples de l’historie chinoise, que la civilisation chinoise peut aspirer au même titre que les sociétés occidentales à la démocratie et qu’un précédent d’ouverture à l’étranger a déjà été réalisé dans le domaine de la science. De plus, il montre que la physique et la démocratie ne sont pas si éloignées, comme nous pourrions le penser, et qu’en étudiant la pénétration des sciences occidentales au pays, nous pouvons comprendre celle des idées libérales. N’oublions pas que c’est un scientifique et un activiste de renom, ses propos  touchent donc, à mon avis, réellement ses lecteurs. La preuve étant qu’il embarrassa tellement le parti en place, qu’il fut contraint à l’exil à la fin de sa vie.


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