Billet de Sophie Gauthier
Elizabeth J. Perry,
"Red Literati: Communist Educators at Anyuan, 1921-25,"
Twentieth-Century China 32.2 (April 2007): 111-134.
Elizabeth
J. Perry (1948-) est professeure au département du gouvernement à l'Université
Harvard, et directrice de l'institut Harvard-Yenching. Spécialiste de la
politique chinoise, ses recherches actuelles portent sur la gouvernance
culturelle et la politique de l'enseignement supérieur en Chine. Elle est aussi
l'auteure de plusieurs ouvrages traitant des mouvements ouvriers et de la
classe ouvrière chinoise à différent moments de l'histoire.
Dans
son article, Perry désire répondre à une
question vaguement abordée dans le passé, mais pourtant essentielle pour
comprendre la réussite de la révolution chinoise. Impressionnée par le fait que
des éduqués intellectuels du Parti communiste chinois (PCC) aient rallié à leur
cause et politisé des travailleurs analphabètes n'ayant jamais reçu quelconque
éducation, Perry s'interroge sur la manière dont le PCC est parvenu avec succès
à ce résultat. Elle déclare que la raison se trouve dans une stratégie du PCC,
soit d'éduquer les travailleurs dans des écoles et d'autres institutions destinées
à l'apprentissage. Cette position est un appui à celle de Stephen C. Averill
(1945-2004), un professeur de l'Université d'État du Michigan qui travaillait
sur le sujet avant son décès.
Afin
d'appuyer son affirmation, Perry regarde la montée du mouvement communiste à la
mine de charbon d'Anyuan (Pingxiang, Jiangxi), où ce dernier fut l'un des plus enthousiastes
dans les années 1920. C'est Mao Zedong qui, flairant le potentiel de cet
endroit s'y rendit en 1921 pour discuter avec les travailleurs de la mine. Après
avoir appris qu'ils n'avaient pas les moyens d'aller ou d'envoyer leurs enfants
à l'école, Mao leur envoya un activiste nommé Li Lisan à qui il confia une
mission. Selon une stratégie favorisée et déjà utilisée par le parti ailleurs
au pays, Li devait d'abord fonder des écoles pour les ouvriers de la mine sous
l'identité d'un maître d'école. Lorsque les gens le respecteraient comme
professeur, Li pouvait commencer à enligner son enseignement vers une démarche davantage
politique. Les écoles deviendraient progressivement des organisations
syndicales avec comme membres non plus strictement des élèves apprenant à lire,
mais davantage des militants actifs prônant la révolution.
Perry
relate avec détails l'évolution de la mine en l'espace de quelques années. Le
surnom qu'on finit par donner à la ville d'Anyuan, soit « Little Moscow »,
indique bien comment les efforts des activistes du PCC portèrent fruit. Éduquant
d'abord les enfants le jour, Li Lisan et quelques travailleurs commencèrent à
éduquer aussi des ouvriers adultes le soir. Les manuels scolaires officiels pour
adultes étaient remplacés par des manuels édités par le parti, et Li discutait
régulièrement de concepts marxistes-léninistes et du prolétariat en classe. À
mesure que des nouveaux se joignirent aux cours, des travailleurs-étudiants
eurent eux-mêmes l'idée de fonder un « club des travailleurs » (workers' club)
après avoir lu dans un journal la création de ce genre de clubs à Shanghai, sans
toutefois mentionner que ce nom inoffensif cachait une volonté d'agir visant à
défendre leurs intérêts. Après une victoire résultant d'une grève non-violente en
septembre 1922, le club des travailleurs afficha clairement sa tendance
marxiste et le PCC souligna cet exploit prolétaire comme modèle à suivre.
Perry
montre clairement la réussite du PCC à avoir formé à partir de rien une masse de
fervents partisans détenant un minimum d'éducation. En septembre 1928, le
Kuomintang nota sa difficulté à mener à bien la purge communiste à Anyuan. Il
mentionna une « éducation rouge » (red education) comme étant la cause de cette
résistance. Perry soutient qu'au lieu de renforcer la division entre la
main-d'œuvre manuelle et celle intellectuelle telle que soulignée par Confucius,
les membres du parti firent complètement le contraire en éduquant les masses
ouvrières, un droit autrefois réservé à l'élite riche. Du côté des ouvriers, ceux-ci
sautèrent sur cette opportunité et assimilèrent les principes révolutionnaires
au fil de leur apprentissage de la lecture. De travailleurs analphabètes, ils
devinrent de véritables leaders politiques sachant diriger les autres, tenir
des discours et diffuser avec ardeur les principes marxistes-léninistes. Entre
1927 et 1930, plus de cinq milles travailleurs d'Anyuan ayant reçu l'éducation
rouge joignirent les troupes de l'Armée populaire de libération.
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