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2015/03/30

Blogs de Chine

Texte de CONGOST Antoine

Han Han, 2012. Blogs de Chine. Trad. du chinois par Hervé Denès Collection Bleu de Chine, Gallimard. Chapitres 21, 24, 32, 38, 43, 47 et 50.

Han Han est un blogueur, romancier, essayiste (et pilote de rallye) chinois. Il est le blogueur le plus lu au monde, avec plus d'un million de pages lues par jour sur son blog. Dans ses écrits, il se montre très critique vis-à-vis du système éducatif chinois qu'il perçoit comme un lieu de coercition idéologique du gouvernement, mais surtout vis-à-vis du PCC, son autoritarisme, son idéologie qu'il juge datée, son contrôle de la liberté d'expression. Il pose aussi les bases, de façon modérée, de la discussion concernant d'éventuelles réformes politiques en Chine. Il est régulièrement censuré. Il a un style très imagé, voire franchement familier. Nous avons ici affaire à des extraits choisis de son blog, dans lesquels il porte, comme à son habitude, un regard critique envers la société et le gouvernement chinois.

Le texte est particulier en cela qu'il est constitué de plusieurs traits d'humeur, portant sur des sujets différents, postés par Han Han sur son blog. Il n'entend pas répondre à une question, il émet un avis sur la société chinoise en quête d'identité, sur son rapport au pouvoir et sur la pression que ce dernier exerce sur les différents moyens d'expression. Il entend souligner les travers de la société civile et des gouvernants et cherche à susciter le débat et la remise en question.

Pour cela, il s'appuie avant tout sur sa propre opinion de l'actualité chinoise, de tendances de fond qu'il observe dans la société, et qu'il expose régulièrement sur son blog. Par ailleurs, un des billets est une entrevue entre Han Han et un journaliste canadien. Lorsqu'il expose son avis, très critique, il utilise beaucoup de métaphores et de paraboles, soit pour éviter la censure, soit pour rendre son message d'autant plus percutant et intelligible. Par exemple, lorsqu'il parle du système politique, il remplace le mot socialisme par « X » ou « XX ». Il n'hésite pas non plus à utiliser un vocabulaire léger voire parfois grivois, ainsi qu'un style oral, en interpellant directement le lecteur.

Le fil conducteur de tous ces billets est que pour Han Han, la société chinoise souffre de maux graves, tels qu'une certaine désunion nationale, une susceptibilité maladive, ou un gouvernement tout puissant, et que cela l'empêche d'avancer. Le chapitre 21 traite beaucoup de la liberté d'expression. Il défend aussi les vertus d'une justice indépendante et dénonce la corruption du pouvoir. D'ailleurs, il aborde la sensibilité de la Chine, thème auquel il fait d'ailleurs écho plus loin, dans le chapitre 50. Le chapitre 24 dénonce le système éducatif chinois qui formate les esprits, notamment via les dissertations, qui découragent tout esprit critique chez la jeunesse. Le chapitre 32 veut ouvrir un débat sur la désacralisation des grands auteurs classiques et sur la libre expression des opinions personnelles. Han Han y défend le droit à la critique de l'ordre établi et des figures traditionnelles d'autorité. Le chapitre 38 vante les mérites de la contrefaçon comme outil pour constituer une société chinoise unie et solide : imiter, c'est d'une part un élément historique de la société chinoise, et d'autre part la Chine a tout à gagner à s'inspirer de modèles sociétaux étrangers, c'est stimulant pour une société chinoise en pleine mutation. Dans le chapitre 43, Han Han disctute de la question de la nationalité. Il faut être fier de sa nationalité, mais cette fierté se heurte à une limite : celle d'un gouvernement corrompu et de ses lois coercitives, que Han Han juge responsable du changement de nationalité de certains Chinois installés à l'étranger. Dans le chapitre 47, l'auteur aborde le cas des enfants, victimes du système, victimes de la corruption et de la désinformation du gouvernement. Enfin, le chapitre 50 revient sur la susceptibilité des Chinois vis-à-vis des critiques internationales. Han Han y voit une futilité qui détourne la société civile des réels enjeux, comme la constitution d'une Chine unie. Han Han est fier d'être chinois, son projet n'est pas de déconstruire la société mais de faire germer la graine d'une conscience nationale saine, alerte et responsable, surtout vis-à-vis du pouvoir. Pour lui, c'est davantage au peuple, et non à un gouvernement corrompu et arbitraire, de construire le pays. Malgré le ton particulièrement incisif et sarcastique de ses avis, Han Han semble optimiste pour l'avenir de la Chine, un avenir où le pays rayonnerait internationalement et où tout le monde pourrait « tout se dire autour d'un verre ».

Jeune auteur, Han Han offre ici un témoignage précieux sur la place de la jeunesse chinoise, ce qu'elle pense du pouvoir, de la société, de l’hyper-consumérisme, de l'avenir du pays. Le fait qu'il soit le blogueur le plus lu du pays ne fait qu'ajouter à la pertinence de ses propos. Bien loin des intellectuels chinois souvent critiques mais rarement virulents, et même s'il use de mille précautions et subtilités dans son discours pour ne pas froisser les officiels, il est intéressant de voir un auteur important oser « ouvrir sa gueule » et parler franchement des problèmes majeurs de la société chinoise. Il n'apporte pas de réponse définitive aux questions qu'il soulève mais en parlant directement à ses lecteurs, en usant de sarcasmes et d'humour, il tente de leur donner les outils nécessaires à une cinquième, voire une sixième modernisation : celle des esprits. Le changement pour la société libre et unie dont Han Han rêve devra avant toute chose passer par cela, par les gens eux-mêmes, par une réévaluation de leurs rapports aux autres, à eux-mêmes et au pouvoir, avant de passer par le gouvernement, duquel Han Han n'attend plus grand chose.

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